De PMO à PO, l’ascension descendante de la MOA.

Bullshit My Product
8 min readApr 9, 2021

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Misanthropes, cyniques, vous êtes ici à la maison. Prenez un bon verre, un petit tuc, et décontractez-vous, dans un instant ça va commencer.

Al Capone, né à la fin de la 1ère guerre mondiale en 1932, à Boston, Autriche.

The intro

Il fut un temps où dans les entreprises nous avions une délégation de MOA / AMOA, souvent rattachée à un département “PMO” (on pourrait discuter sur le non sens de tout ça d’ailleurs…).

Pour ceux du fond qui ont séché l’ancien monde :

  • MOA : Maitrise d’OuvrAge
  • AMOA : Assistance à Maitrise d’OuvrAge

Dans le monde de la gestion de projet la MOA est complémentaire à la MOE / AMOE (Maitrise d’OeuvrE), qui est, elle, la chefferie de projet technique : celle qui va décider des choix techniques.

Mais revenons en à notre MOA / AMOA. Alors oui, dans AMOA le “A” c’est pour “Assistance. Car dans la vie, il faut des assistants. Aaaah qui mieux qu’un ingénieur BAC+5 pour être chargé de faire des compte-rendus, des powerpoints, des relances par mail, des fichiers excels… Bref toutes ces tâches à très hautes valeurs ajoutées pour lesquelles sont formées nos jeunes têtes blondes idéalistes à travers le mantra “papa plus tard je veux être ingénieur”. Mais on s’égare… La MOA, c’est la discipline qui va coordonner les travaux.

L’analogie suivante va éclairer les quelques lanternes encore un peu vacillantes. Ces mots viennent du bâtiment (c’était avant qu’on dise “digital” à tout va, comme si on avait une véritable obsession à foutre nos doigts un peu partout… Alors qu’on n’arrive déjà pas à se les sortir, paradoxal hein…) :

  • Maitrise d’Ouvrage (MOA) : On pilote la construction d’un ouvrage qui va être composé de plusieurs chantiers techniques. Prenons l’exemple de la construction d’un pont.
  • Maitrise d’Oeuvre (MOE) : On pilote une (ou plusieurs) des différentes chantiers qui vont constituer le pont (fabrication du tablier, fabrication du cablage, pose des pilliers etc…).

Sauf que… Sauf qu’en fait, on aurait pas zappé un épisode ? En 2021, ils sont passés où tous nos petits gars de l’AMOA / MOA ? Il y a 10 ans, tu en avais de partout, des dizaines par projet, des centaines par entreprise, une vraie mine d’or pour les entreprises d’intérim en “ingétariat” (“ingénieur” + “secrétariat”). Pardon, pardon… On dit “management consulting” maintenant me susurre-t’on à l’oreille ! Important d’être sharp sur la terminologie…

Ou est donc passé le Cycle en V ? A vos fourches agilistes aux rigoustins scrumisés, à vos torches consultants aux cravates phalliquement chatoyantes, l’heure d’aller cramer des monstres et répandre la lumière à sonné. Néanmoins, attention avec ce matos, restons safe.

Le changement, c’est maintenant

Arrête ton char Midas ! Je te vois… Oh oui, je te vois le petit malin du premier rang, avec tes crayons Staedtler parfaitement taillés et ta trousse cuir pleine fleur : “Mais euuh, l’entreprise s’est transformée en 10 ans, maintenant elle est agile, on n’a plus de MOA, t’as rien compris on est dans le turfu”. Oh… Mais merci ! Merci d’avoir posé là de façon inopinée, mais néanmoins fortement pinée, la plus grosse phrase bullshit de la décennie.

L’entreprise s’est donc transformée, elle est agile. Alors pardon, là je vais pourrir un peu le tableau avec la bonne peinture au plomb de papa.

Prenons nos entreprises “transformées”. Par définition, si elles sont agiles, elles sont devenues innovantes. Donc, une entreprise qui passe de “bof” à “innovante” grâce à sa transfo, elle devient de facto outrageusement dominante sur son marché, j’ai bon ? Mieux, elle dynamite son marché et le révolutionne.

On peut prendre comme exemple Apple en son temps ou Melitta pour ceux qui veulent de la ref’ Old School et qui aiment le torréfié 3 étoiles. On a clairement un avant / après quand une boîte est innovante, elle a tellement d’impact que ça peut en venir à modifier socialement les comportements.

Sauf que là, dans les transfo’… J’ai bien 2 ou 3 pétards mouillés, mais c’est tout. Globalement, tu sens qu’il y avait un projet pro, mais y’avait probablement un gros problème relationnel entre la poudre et le détonateur, et la relation s’est terminée comme elle le devait “pfuitttt !” QUE DALLE ! Du pognon cramé (et donc encaissé au transpalette par certains), des employés burn-outés, mais aucun impact. Rendez l’argent, rendez l’innovation ! On pourrait imager tout ça avec la déclaration magique de Thierry BOLLORE sur l’échec total du programme de transfo agile FAST à 40 millions € par an chez Renault by BCG. Mais, on le fera pas, on sait se tenir ici ! A ce niveau de cochonnerie, c’est PEGI 18.

La réalité des entreprises transformées : J’ai toujours 14 niveaux hiérarchiques, avec plus de “<please insert bullshit name> leaders” que de doers. Oh oui, on a bien changé les noms sur l’emballage, de “chef” on est devenu “leader”, “officer”... Mais rappelez-moi, un des 12 principes de l’agilité parle quand même d’équipe “auto-organisées”, non ? Donc, on est autonomes (auto-organisés), mais on a 14 niveaux au-dessus de nous ? Pour garantir notre autonomie je présume ? Hummmm… Mais, ça passe, personne n’a relevé l’arnaque.

Alors, nous avons des PO, et les PO, ils ont même des assistants, les PPOs (tiens… On dirait une ressemblance avec un truc qu’on a vu plus haut)… Ça donne la comptine suivante :

Au dessus du PPO, y’a un PO.

Et au dessus du PO, y’a un PM.

Et au dessus du PM, y’a un Senior Product Manager.

Et au dessus du Senior Product Manager, on a un Lead Product Manager.

Et au dessus du Lead Product Manager, on a un Head of Product.

Et au dessus du Head Of Product, on a un Chief Product Officer.

Tu vois cher lecteur opiniâtre, où je veux en venir ? Hormis lors d’un concours de branlomanie végétative de bon aloi, tout ça, ça a quand même des odeurs de Pyramide des Rôles (Privilèges ?) bien Old School. En tout point identique en fond à l’entreprise avant sa transfo, née dans le Taylorisme des années 20… Et my tailor is rich…

Je sais pas toi, mais moi quand ça sent le guacamole, que ça a la tronche du guacamole, et que ça goûte le guacamole, même si tu me marques sur la boîte “Nuggets poulet premium sauce teriyaki”, je me dis que tu es en train de me glisser une petite fourberie, bien huilée et sans gluten…

Jean-Michel Sur-Preezh, Happiness Manager chez BullSheet My Product Corp.

Mais, on a toujours des sceptiques… Je le sais, je le sens dans la force… Probablement les mêmes qui pensent que nous n’avons jamais marché sur la Lune ou que le vaccin du Covid embarque des nanites avec une IA pour nous contrôler dans la Blockchain.

Je vais vous citer ici, des verbatims, comme ça, au hasard (et là si tu as suivi… Tu comprends que ça n’est pas du hasard) :

“J’ai une roadmap avec les features prévues dans le temps”

“J’ai une roadmap sur 3 ans”

“J’ai récupéré le besoin”

“On a un template pour récupérer le besoin que le métier rempli”

“J’ai un client interne”

“Mon rôle en tant que PO est que tout le monde se parle”

“Je suis un chef d’orchestre”

“Des fois, on a des produits sans utilisateur et c’est pas un problème”

“Une US technique”

“Je dois donner les spécs aux devs”

“Le métier a fait le forcing pour qu’on mette cette feature au planning”

“Je suis PO côté marketing/métier”

“Je dois aligner les stakeholders”

“On est product centrique”

“On est agile, on s’adapte”

Si jamais ces verbatims et/ou la pyramide des rôles (pardon : “la trajectoire de carrière”) te parlent : c’est alors du bon vieux guacamole qui a tourné (de la MOA en fait,tu te souviens ? Il y avait une analogie avec le guacamole plus haut). Welcome dans la matrice ! Après, on se détend. La bonne nouvelle camarade, c’est que tu n’es pas seul à voir ton monde s’effondrer en lisant ce brûlot, 99% des “entreprises agiles” sont comme ça.

Nous pourrions librement tergiverser, et faire un article pour expliquer la n-ième fois l’agilité, le rôle du PO, et toutes ces conneries déjà sûr-réchauffées quelques millions de fois. Faisons Simple :

1 Manifeste agile

4 valeurs agiles

12 principes sous-jacents

1 Scrum Guide (qui définit entre autre le PO)

Cliquez, lisez et commencez à jouer au bingo… Cochez, ce que vous avez.

Il est temps de conclusionner

Mais en gros, rien n’a changé ? Mais oui ! Mystère résolu ! Nos MOA, sont devenus PO (avec un grade par échelon projet), on a rebrandé le machin, parce que ça permet de vendre de l’intérim facilement. Pourquoi facilement ? Car le nom est smart, il fait “in”, dans l’aire du temps, et surtout le plus important : il fait exactement ce que faisait la MOA d’avant. Il ne vient alors pas bousculer le confort, il maintient le statu quo. Et tu sais quoi, l’humain, il adore le statu quo ! Ça rassure, c’est stable, c’est connu : c’est d’ailleurs un biais cognitif important chez l’humain. Et une personne rassurée c’est une personne qui achète. Le but n’est alors pas de transformer, mais de rançonner l’entreprise, la parasiter. Et plus tu lui fourgues un truc qui va être proche de ce qu’elle est, plus tu augmentes tes chances de vendre ta prestation, plus tu la confortes et moins tu la transformes. C’est vicieux… Mais ça rapporte.

Parce que la culture Produit mon petit Johnny, c’est tout l’inverse : c’est la ruée vers l’inconnu, vers le changement, vers la découverte de ce qui n’est pas résolu, vers le pivot rapide, vers l’autonomie et surtout vers ton putain d’utilisateur que tu veux rencontrer, que tu veux même des fois toucher (on est digital, ou on ne l’est pas).

Le produit : C’est fuir le confort, pour embrasser l’inconfort de l’inconnu. Globalement ça va à l’encontre de ce que cherche la majorité des humains…

T’es encore là lecteur ? Mon dandy désinvolte à l’humeur misanthrope, mon amant, mon confident, ma North Star…

Dis ? Si ça mon beau… Si ça, c’est pas le hold-up parfait du consulting de ces 10 dernières années…

Cyniquement vôtre,

Bullshit My Product

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