Produit : la fabrique de l’ignorance

Bullshit My Product
9 min readMay 4, 2021

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Le produit, c’est à la mode, on en parle, beaucoup, peut-être même trop ?

Misanthropes, cyniques, vous êtes ici à la maison. Prenez un bon verre, un Apéricube saumon (mon préféré), et décontractez-vous, dans un instant ça va commencer.

Vue d’artiste représentant la réalité vraie qui n’existe pas, sauf si tu crois que le réel est une projection d’une fiction dans la réalité, et vice-versa

Le saviez-vous ? Sur YouTube on peut encore trouver d’intéressantes choses. Alors j’dis pas, faut arriver à trouver… Entre le zigoto aux cheveux décolorés qui fait des blagues de toto sur Skype et Jean Michel Pas-Di-dais qui filme des unboxing d’happy meals… C’est un sacré challenge ! Et la concurrence y est rude, comme si la connerie était magnétique…

Trêve de suspenses, à vos pop-corns sucrés (le pop-corn salé… C’est une fausse bonne idée) :

©Arte

Inspirant n’est-ce pas ? Tellement inspirant, que ça aura donné naissance à ce cher petit billet…

C’est quoi le sujet ?

Au début du reportage (que je ne peux que vous inciter à visionner), on nous montre le cas d’école de “la fabrique de l’ignorance”, ce qui a permis de mettre en lumière le phénomène. Nous sommes dans les années 50, Bill Haley & les Comets chantent “Around the Clock”, et l’industrie du tabac se prend en pleine tronche une tartine façon Mohammed Ali.

Pour ceux qui ont eu la flemme de visionner le reportage, voici un bref récap’ de l’histoire :

Dans les 50's, on met en évidence le lien tabac-cancer. Raz-de-marée instantané dans l’industrie du tabac : tout le monde sur le pont. Le problème qu’on va alors tenter de résoudre concerne la mise en danger du business (curieusement le cancer est laissé à la charge des astrologues). Et, quand on trouve un problème, on fait quoi ? On le résout pardi ! Ça s’appelle : la Stratégie. Et là mes copines, naît une stratégie pour le moins originale : on va financer des centaines de millions de dollars de recherche scientifique ! La même science qui vient d’exploser tout le business… Stupide ? Brillant !

Car voila, on va financer des recherches sur le cancer du poumon mais via d’autres facteurs que la cigarette. Amiante, radon, alimentation, lieux de résidence, habitudes etc… On étudie le lien “anything Versus cancer”. Et on finance des centaines d’études (et des centaines de millions de dollar), dont certaines auront au passage énormément d’utilité scientifique : la recherche sur les précurseurs des maladies cardiovasculaires, par exemple. Mais voilà, avec toutes ces études scientifiques sur le cancer et ses causes, nous allons faire naître un phénomène magique : la multiplication des suspects du cancer. Et plus il y a de suspects, plus la cigarette se voit oubliée, diluée dans ce flux d’informations qui devient trop grand pour nos cerveaux.

En gros : pour prouver que le produit n’est pas nocif, on prouve que plein d’autres produits le sont. Au lieu de créer la lumière, on créé du chaos. Et dans ce chaos, on va adresser tous les modèles de représentations des gens. Dans le tas des 44 raisons possibles du cancer, il y a bien une cause qui activera une sensibilité chez toi, qui va venir taper à la porte de “la peur”. Quand il n’y a qu’une seule cause : tout le monde est uni contre cette cause, quand il y en a 44 , on est alors divisé et on ouvre la voie à l’opinion. Car au final la raison qui est vraie c’est celle à laquelle je crois, c’est moi qui ai raison et pas toi.

Ce billet, n’est pas un manifeste du parfait penseur dédié à la cigarette, vous faites bien ce que vous voulez. Au passage ? Merci de financer notre bel État. Fumeurs ? Vous êtes en quelque sorte un poumon économique de notre pays (t’es pas venu pour rien au moins, on fait des jeux de mots dignes des plus grands).

Résumons. En créant de la communication quant aux différentes causes d’une défaillance, quant aux différentes vérités alternatives (vraies, mais souvent partielles), on créé du chaos. Et du chaos naît l’ignorance car nous allons venir jouer avec les croyances (les modèles de représentations de chacun), jusqu’à trouver celle qui vous correspond, et vous allez vous y conformer, sans aller chercher plus loin : “Ah ! Ah ben je savais bien que j’avais raison, regarde”. On plonge alors dans un puits d’ignorance, bien étriqué, plutôt que prendre du recul et regarder l’environnement et le problème dans leur grand tout.

Et… Quel lien avec le produit ?

Et bien voila, depuis maintenant quelques belles années, on voit, ça et là, nombre de publications fleurir sur le produit. Et en particulier des posts où on nous apprend ce qui ne marche pas, et pourquoi ! Car oui, maigres décérébrés, nous allons vous apprendre la vérité, sous couvert de partage généreux. Parce que l’homme est généreux (ça aussi ça mériterait un article…).

On a entendu, tellement de vérités, qu’aujourd’hui, tout le monde a un avis sur le produit :

  • Le produit ça ne marche pas à cause de la hiérarchie, il faut désiloter, et avoir des équipes autonomes.
  • Le produit ça ne marche pas à cause de toutes les compétences qu’il faut rassembler, il faut découper le rôle de PM en GPO, PM, Lead PM, PO, PPO, UX, CX, Strategists pour avoir toutes les compétences.
  • Le produit ça ne marche pas car on n’a pas les bons outils techniques, sans CI, sans CD, on ne peut pas faire du produit si on ne peut pas mettre rapidement entre les mains de l’utilisateur.
  • Le produit ça ne marche pas car on se concentre sur la technique plutôt que l’utilisateur, et la technique n’est qu’un outil.

Et, à chaque argument avancé, tu peux avancer un argument totalement contraire, qui, dans un contexte sera vrai. Et c’est là le soucis ! Peut importe ce que tu penses, tu vas trouver l’article qui te correspond, qui vient renforcer une de tes croyances. Chaque argument va venir conforter une personne particulière, et créer du chaos.

Tant et bien… Que nous sommes aujourd’hui dans une discipline où l’opinion fait foi. Pensez-y, combien d’articles avez-vous vu avec une vraie mesure de l’impact ? Un truc palpable ? Et pas une communication markétée façon programme FAST chez Renault…

Petit à petit, chaque jour, on vient nourrit cette fabrique de l’ignorance. Et grâce aux réseaux sociaux, certains avis qui ne dépassaient pas le bar PMU du coin il y a 30 ans, font 1 000 000 de vues aujourd’hui, c’est le progrès mon cher ! Audiard, à travers Jean Gabin dans le Pacha nous disait : “Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner”. Sauf que là, si on pouvait ralentir le rythme des lancements, ça semble encombré là haut.

Aujourd’hui, le “Produit”, c’est ce que j’ai envie que ça soit. Et nous sommes dans une guerre d’opinion.

Du biais d’autorité, maintenant, question il est.

Si vous avez suivi le reportage, à un moment donné, on suit des chercheurs français qui vont mapper l’entièreté des messages Twitter liés au thème du climat sur une durée de 3 mois.

Le terrain de jeu des opinions ressemble à peu près à ça :

©Arte

Dans le camp bleu, les tweets pro-climat, en rouge, les tweets climato-sceptiques avec un point = un compte Tweeter. Qui a raison ou tord, n’est pas le sujet de l’article, même si mettre les méchants en rouge a tendance à ne pas nous laisser le choix. En revanche, on voit que globalement les deux camps semblent “équivalents” en termes de volumes d’échanges : donc de visibilité des opinions. Et le volume, là, ça m’intéresse.

©Arte

Cette image, c’est un zoom avec les noms des comptes Twitter qui génèrent la majorité du trafic côté climato-sceptiques. On a moins d’une dizaine de comptes, qui génèrent la quasi-entièreté du contenu du camp rouge (qui va être re-tweeté pour formé le trafic, et donc les opinions). On parle de comptes qui flirtent avec les 10 000 tweets par an, soit 27 tweets par jour calendaire, et ça 365 jours par an. Si on prend un repos le week-end on monte à 38 tweets par jour. Il faut les produire les 27 (ou 38) tweets par jour !

Rappelez-vous, nous en avons déjà parlé dans nos précédents articles, plus notre cerveau voit quelques chose, plus il se dit “hey mais c’est important, je l’intègre donc dans mes modèles de représentations”. Souvenez-vous l’interdiction de la publicité “Si ju va bien, c’est Juvamine !” à la télé dans les 90's, qui venait répéter, jusqu’à ancrer dans le cognitif “tu veux aller bien ? Prends du Juvamine”. Ipso facto, si un jour j’ai un coup de mou, je fais quoi ? C’est le principe du martelage, et notre inconscient y est extrêmement sensible.

Et bien dans le cas de nos climato-sceptiques, ils ont une stratégie : créer du trafic, créer de la visibilité, marteler, être présents. Le fond des études utilisées importe peu, la rationalisation importe peu, seul tweeter importe, car du volume dépends l’opinion. Et ça, ça créé beaucoup d’opinions sympathisantes, et c’est pas super dur à faire. Le temps que ton concurrent fasse une étude sur 10 ans en interviewant 150 chercheurs dans le monde et à la fin en fasse un tweet, toi tu auras balancé 15 000 ou 20 000 tweets… Y’a pas match mon cher Thierry ! Grâce à internet et la facilité de communiquer à un nombre colossal d’utilisateurs, y’a plus match. Le “quoi”, est alors relégué en ligue 2 dans l’équation de l’impact final…

On commence à se connaître tous les deux, on en n’est pas encore au petit sourire complice qui annonce une soirée sympa, mais pas loin. Tu vois où je veux en venir ? Plus je suis visible, plus je publie, et plus je serai important dans ton cerveau. Et cerveau il a des potes de beuverie qui vont venir grailler tes Pringles. Et dans le tas de squatteurs, on en a un : “le biais d’autorité”. Ça consiste en une confiance aveugle, en un expert, un sachant.

Sauf, qu’on vient de le voir, plus je publie, plus je suis visible, plus ton cerveau me considère comme important. Et plus je suis important, plus je suis expert à tes yeux. Et, on ne remet pas en cause un expert ? Si ?

Et alors ?

Et bien mon Beau, toi qui suit avidement le Produit, et son microcosme. Tu n’as pas remarqué que beaucoup de publications, d’idées, de concepts, de vérités, émergent en fait de très peu d’individus / entreprises ? Que très peu d’entités font la pluie et le beau temps sur le sujet ? Jusqu’à arriver à raconter des conneries magistrales, qui passent crème et sont relayées, adoptées, défendues ? Comme un dogme et ses 2 ou 3 gourous investis d’une mission de lumière…

Tu doutes ? C’est bien… Admettons que je dispose de 100 jours. Je passe 95 jours à créer de la valeur, et 5 jours à partager comment je l’ai fait à travers 1 article (parce que je suis philanthrope, cet article est gratuit). Crois-tu vraiment que tu me porteras autant d’attention que celui qui aura passé 5 jours à créer, et 95j à le raconter à travers 10 articles, 2 webinars et 3 interviews ?

Les vrais experts, sont ceux qui font ? Ou ceux qui racontent ?

Ça foutrait pas comme un doute sur “à qui faire confiance” ? Hein mon infréquentable lecteur aux habitudes réac’… Et de là à te dire que la compétence tout le monde s’en cogne, et que ce qui compte aujourd’hui c’est le branding, la visibilité, il n’y a qu’un pas… Alors, “en marche”.

All in all, it was all just bricks in the wall
All in all, you were all just bricks in the wall

Cyniquement vôtre,

Bullshit My Product

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