Produit : l’avenir de l’échec, c’est le data driven

Bullshit My Product
8 min readApr 26, 2021

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On en parle tellement qu’on en a fait un Saint Graal, sauf que les Monty Python ne sont pas de la partie cette fois...

Misanthropes, cyniques, vous êtes ici à la maison. Prenez un bon verre, une cacahuète wasabi, et décontractez-vous, dans un instant ça va commencer.

zesil tec elcitra

La promesse

Appuyez sur un bouton et abreuvez-vous de la vérité ! Je vous le dis mes frères, le temps de baguenauder sérieusement a sonné !

Et si à l’instar de Yoko Tsuno on vivait dans un futur un peu fantasmagorique ? Si à ce moment tu te dis “c’est qui Yoko Tsuno ?”, dis toi que c’est l’héroïne de la BD. Si à ce moment tu te dis “c’est quoi une BD ?”, dis toi qu’il te reste l’héroïne.

Donc, dans ce futur où James Cameron a volé les droits des extraterrestres tout bleus impunément, l’avènement de l’IA et tout ce que ça représente nous a donné l’accès à la vérité cosmique : nous savons tout de l’utilisateur, et nous le savons en temps réel.

Au passage, on va dégager quelques poissons clowns du récif… Et oui, si on sait tout de notre utilisateur et que la machine en arrive à pouvoir tout anticiper en considérant 1 000 000 d’utilisateurs de façon unique à la fois, on a bien 2 ou 3 merlans “Label Stratégie” qui vont gentiment migrer au rayon surgelés by Findus. On ne va pas payer grassement des mectons pour nous dire “la machine elle a dit A, la machine elle a dit Rouge”… C’est que nous, chez BullshitMyProduct, on a des actionnaires ventripotents à engraisser : moins de salaires, plus de dividendes.

Donc, nous sommes dans le fantasme et la SF… Ainsi alors, tout est possible. Seulement, on a toujours un problème avec la SF, c’est cool, ça emploie des mots bien badass à la Star Trek (et tu ne pars pas à la conquête de la galaxie en pyjama sans un minimum de badasserie), mais c’est pas la réalité. Et ça, c’est le souci.

Dans la réalité ? De 2021

Pour changer, on va faire un article qui repose sur de la donnée. Un genre de “data driven article” (Tu l’as pas vu venir celle-là ! Ne mens pas !).

Prenons une entreprise florissante, qui connait depuis les années 2000 une croissance plutôt pas dégueux. J’ai nommé Google.

Selon nos copinous de Search Foresight Google stocke chaque année l’équivalent de 570 000 feuillets A4 de données sur nous ! Cette valeur, critique, a la particularité de nous apprendre une chose : rien !… Ça ne veut strictement rien dire. Mais on a “570 000” et “A4”, on peut vaguement en faire quelques chose ? Faisons confiance aux spécialistes, ça a l’air beaucoup.

©Pr Douglas C.SCHMIDT
©Pr Douglas C.SCHMIDT

Plus intéressante, la Thèse du Professeur Douglas C.SCHMIDT de la Vanderbilt University retrace la journée typique d’un croquant standard ainsi que la donnée collectée durant cette épopée.

Ce qui devient intéressant est non pas la quantité de données collectées (car ça ne veut rien dire en fait), mais la diversité, ainsi que la profondeur de celles-ci. On sait où tu vas, ce que tu manges, qui tu vois, qui tu croises, ce que tu aimes en ce moment, voir pire : as-tu consommé du porn entre 2 réunions ? Heureusement personne n’en regarde, j’ai demandé plusieurs fois autour de moi pour vérifier.

Couple à ça les quelques milliards de personnes concernées (voir le 2nd petit screenshot juste à gauche) et vous l’aurez compris : Google est une entreprise qui collecte bien.

Alors, excusez moi, mais pour être Data Driven, faut pas déjà en avoir de la data ? Parce que là mes copines… On a une entreprise, qui en a de la data, et qui en a un sacré paquet. De quoi te faire du Data Driven 3 étoiles.

Mais voila… Google depuis 2006 c’est environ 450 produits créés, et 220 en échec qui ont dû être tués, un bon 50% des initiatives Google sont des échecs. La durée de vie moyenne d’un produit chez Google ? 4 ans. C’est d’ailleurs un vrai problème qui leur fait perdre pas mal de crédibilité en ce moment, des produits qui disparaissent du paysage aussi vite attirent la méfiance côté utilisateur. Alors, vous ne trouverez ici ni critique, ni procès de Google, nous ne sommes pas avocats, quand bien même serions-nous bonnes poires… Mais regardons ici les quelques plus gros ratés. Des ratés à quelques millions :

Google Glass : les lunettes connectées, avec la réalité augmentée

Google + : le réseau social pour concurrencer Facebook

Google Hangouts : la messagerie qui veut concurrencer Whatsapp

Google Stadia : la plateforme de gaming en ligne

Force est de constater, que même quand on est le leader de la collecte et l’exploitation de la donnée de l’Histoire de l’Humanité, on se plante1 fois sur 2.

La vache ! Le data driven il fait un peu moins rêver…

  • C’est pas parce que 90% de tes utilisateurs passent 35 minutes sur Facebook chaque jour, que leur réseau social concurrent a du sens.
  • C’est pas parce que 3 milliards de personnes jouent aux jeux vidéos, que créer leur plateforme de cloud gaming a du sens.
  • C’est pas parce que 2 milliards de personnes utilisent whatsapp que leur solution de communication a du sens

On en a de la donnée qui dit que les gens aiment, et utilisent ? Tu vois, mon lecteur chéri où je veux en venir ?

La donnée, te dit ce qu’il se passe, pas nécessairement pourquoi ça se passe. Et c’est là, la clé ! Et des fois, il faut revenir sur Terre. Si Google n’arrive pas à être Data Driven, alors qu’ils sont le plus gros collecteur de données au monde… Peut être qu’on peut réfréner nos ardeurs ?

zennoba-suov

Soyons plus simples, plus pragmatiques.

Imaginons que nous soyons une entreprise, et nous avons développé une application, bien codée. Sur cette app on monitore tout correctement (fonctionnel et technique) : bref on est la tour de contrôle du Charles de Gaulle. On balance en prod, une feature A, et là, après 6 mois : 1% des utilisateurs l’utilisent. Pourquoi ?

1/ On a codé un truc inutile : personne ne l’utilise car ça ne résout pas de problèmes.

2/ On a mal codé : ça pourrait être utile mais c’est tellement pourri que personne ne l’utilise.

Si on se fie à la donnée uniquement, la feature est inutile. On la kill ! Et jamais on ne résoudra ce problème utilisateur… On vient de jeter l’occasion d’être innovant à la poubelle, car on a misé sur un tableur Excel, plutôt que de parler avec l’intéressé.

C’est comme ces sondages couillons où on te dit :

Que préférez-vous ? :

A : Le kiwi

B : La pomme

C : La banane

70% des personnes ont répondu “la banane”, investissons dans la banane, le fruit préféré des français ! Sauf que préférer la banane au kiwi ou la pomme, ne veut pas dire que tu veux de la banane. En vrai ? T’as envie de fraises… Donc, on a inséré un biais magnifique, la donnée est totalement foireuse, on a 24 tonnes de bananes dans les stocks. Entre temps ? Nos utilisateurs sont partis acheter de la gariguette chez notre concurrent. Putain de stratégie ! Yooohooooo !

Et ? Et ? Et ? On oublie pas un truc über-important ? Là, on a analysé la donnée générée par nos utilisateurs. Mais, le mec qui est jamais rentré chez nous ? Genre les quelques centaines de millions d’utilisateurs potentiels… Ça serait pas un peu débile d’avoir une stratégie basée uniquement sur la donnée de 1 000 utilisateurs, en ignorant ce que les 100 000 000 d’autres qui ne sont jamais venus pensent ? Ça laisse songeur hein ?

Nan mais en fait, Bullshit My Product c’est des réacs ?

C’ui qui dit qui est ! Et en plus pas du tout d’abord !

La réussite de tout produit, repose sur la mesure de l’impact de celui-ci. Oui, la donnée devient aujourd’hui de plus en plus névralgique : on collecte beaucoup, et nous disposons de la capacité technique pour analyser finement ces choses. Pourquoi s’en priver ?

Mais, notre donnée est bourrée de biais. Comment mesure t’on ? Est-ce qu’on mesure une cause ? Ou une conséquence ? Et surtout : On a que dalle sur les gens qui ne sont pas (encore) nos utilisateurs, et c’est justement eux qu’on veut capter !

Français, Françaises, je vous ai compris ! C’est tentant, se dire “j’appuie sur 1 bouton, et je sais tout”, mais ça a une gueule de magie tout ça mon gratton… Et le look barbe blanche mi-hipster, mi-hippie ça devrait te mettre la puce à l’oreille. Mais c’est tellement plus tentant de garder son divin séant dans son Chesterfield au 35ème étage que descendre dans la rue parler aux gens, hein ?

ecuop uelb

Et voila ma Josette, notre humain il est fainéant, et si tu viens lui vendre un produit miracle : il fera comme son ancêtre à 6 dents du Mid-West : il achète le remède miracle, se le carre dans le front, se fait empapaouter et recommencera inlassablement à acheter... Toujours et toujours… Et ça depuis que la société est née. Parce qu’on adore l’éventualité d’avoir un truc qui fait tout à notre place, qui résout tout. On adore l’idée d’avoir tout, sans le moindre effort.

Ajoute à ça le fait que nous soyons inscrits dans une quête : la sensation d’être au contrôle, et le Data Driven vient pleinement adresser ce besoin neurologique. Nous voila bombardés de chiffres, de courbes, de calculs de ratio aux noms ésotériques. Tout ça, ça donne à notre cerveau l’illusion d’être au contrôle. C’est pas faux, mais au contrôle d’un bateau qui coule, c’est si glorieux que ça mon lecteur mal famé préféré ?

Basez l’avenir de votre entreprise uniquement sur l’analyse biaisée de données elles mêmes biaisées, ça revient à jouer l’avenir de votre entreprise au Poker avec en main un 2 et un 8… C’est drôle, y’a un côté canaille-roublard, mais vous allez y laisser des plumes. Les vôtres, celles de vos employés, de vos clients.

Alors, utilisons la donnée, pour mesurer, pour prédire, elle est un outil admirable. Un algo de machine learning peut faire en quelques secondes ce que nous sommes incapables même de concevoir. Mais gardons en tête qu’elle est complètement faillible par essence. Elle ne doit jamais supplanter la seule source de vérité dans ce bas monde : la discussion avec votre utilisateur. Elle fait en revanche un complément stratégique de poids, que vous vous devez d’avoir, mais faites le avec sagacité.

Cyniquement vôtre,

Bullshit My Product

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